Ville de Niort : Réalisation d’un film avec drone par des adolescents

21 janvier 2017. Publié par Benoît Labourdette.
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Création, écriture, réalisation, interprétation d’un film entièrement tourné avec un drone, piloté par des adolescents.

Sur deux samedis successifs en janvier 2017, la ville de Niort, en partenariat avec la FRMJC de Poitou Charentes et dans le cadre du dispositif Passeurs d’images, j’ai proposé un atelier de réalisation de film avec drone, intitulé « Filmer la peur ». Le but de ce film était d’être diffusé, quinze jours après sa réalisation, dans le cadre d’un festival de polar à Niort, « Regards Noirs ». Projet accompagné par David Audouit (Chargé de manifestations culturelles - Ville de Niort) et Alice Chaput-Yogo (Médiatrice Passeurs d’images - FRMJC Poitou-Charentes).

Voici le film, « L’avertissement » (7’41s, 2017), réalisé collectivement par les adolescents dans le cadre de cet atelier :

Film réalisé dans le cadre de la coordination régionale Passeurs d’Images
Fédération Régionale des Maisons des Jeunes et de la Culture de Poitou-Charentes
Avec le soutien de :
Direction Régionale des Affaires Culturelles Nouvelle Aquitaine
Conseil Régional Nouvelle Aquitaine
DR-D-JSCS Nouvelle-Aquitaine

Démarche de création

Quelle a été la démarche qui a permis de réussir, en deux jours, avec un groupe d’une dizaine d’adolescents, à réaliser un film construit, scénarisé, sur une thématique et qui plus est tourné avec une technologie compliquée (mais passionnante) qu’est le drone, l’appareil ayant été piloté par les adolescents eux-mêmes ?

Premier samedi

  • La première étape fut un test de tournage, en intérieur et en extérieur, avec le drone, que je pilotais. On a regardé les images, en grand, dans le noir, et nous avons discuté des potentialités, des idées que cela suscitait. Idées que je notais au fur et à mesure sur une mindmap. C’est à dire que la discussion « scénaristique » n’était pas « théorique », mais en fonction de la réalité constatée des possibles de cette caméra particulière.
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  • Puis j’ai invité chaque personne à exprimer son désir : veut-il piloter l’appareil, faire autre chose ?
  • Ensuite, la méthode, après discussions, fut d’aller tourner, en plan-séquence, une scène du film, le drone étant piloté par l’un des adolescents. Puis de revenir regarder cette séquence, en discuter, et, à partir de cela faire évoluer les idées pour les autres séquences, l’ordre des choses dans le film, etc. C’est à dire que le processus d’écriture fut itératif : on fait la suite (pas forcément la suite chronologique d’ailleurs) en fonction de ce qui a été fait précédemment, mais en fonction de la réalité de ce qui a été fait, non pas d’une idée scénaristique théorique.
  • Les outils numériques et leur capacité à nous faire voir très rapidement les contenus produits, permettent d’inscrire le processus d’écriture audiovisuelle non plus comme un préalable à la réalisation, mais comme faisant partie intégrante de la réalisation.
  • Ce qui fut très important est que chaque moment de visionnage, après les tournages, soit vraiment concentré, en grand, dans le noir, afin que nous recevions pleinement ce que recelaient les images qui venaient d’être faites. Parfois, ce sont des hasards, des « défauts », des accidents, qui suggèrent des idées, qui peuvent être majeures pour le film.
  • A la fin de la première journée, en mettant un logiciel de montage vidéo (Vegas Pro) en plein écran sur la vidéoprojecteur, j’ai assemblé, lors d’une discussion collective, les plans faits dans la journée, dans l’ordre décidé.
  • Ainsi, nous avions un premier montage, muet, des scènes tournées lors de la journée. J’ai tout de suite mis en ligne ce premier montage, et j’ai donné le lien aux participants. Ainsi, pendant toute la semaine avant l’atelier du samedi suivant, ils ont pu regarder maintes et maintes fois ce qui avait été réalisé, y réfléchir, et, plus que cela, être en intimité avec le travail, avec aussi le travail de l’inconscient de chacun, et l’appropriation réelle (je peux montrer, sur mon téléphone, à mes amis, le film que je suis en train de réaliser), qui est la clé de la motivation, de l’implication, et donc d’une réalisation de qualité, puisqu’elle a de l’importance pour chaque personne qui y participe.

Deuxième samedi

  • Le deuxième samedi, chacun avait mûri par rapport au projet. Il restait des scènes prévues à tourner, mais nous en avons rediscuté, adapté bien des choses. Et puis nous avons employé le même processus de tournage + visionnage + discussion + montage + autre tournage, et ainsi de suite.
  • Une fois le tournage terminé, nous avons travaillé la bande son du film : enregistrements, en intérieur et en extérieur, de sons, recherche de musiques, et assemblage des sons sur les images.
  • A la fin de la journée, le montage, fait collectivement, était terminé, et le film mis en ligne, afin que, immédiatement, les participants puissent le partager, lui donner existence dans leur espace social.

L’expérience de vie

Piloter un drone est une expérience impressionnante, car la maîtrise en est difficile, c’est un objet volant, bruyant, rapide, qui semble dangereux (mais le modèle choisi, un Parrot Bebop, n’est pas dangereux, donc il est exploitable en atelier). Les jeunes avaient, presque tous, très peur avant de tourner leur scène, ne se sentaient pas capables. Mais chacun s’est risqué. Mon travail fut de produire un cadre suffisamment rassurant pour que chacun ose prendre un risque. Comment on fait pour produire ce cadre ? Eh bien par exemple, le jeune qui va piloter qui dit qu’il ne se sent pas capable, qu’il a peur, etc, c’est l’écouter avec bienveillance mais quand même lui mettre le drone dans les mains et le lui faire démarrer. Et c’est parce qu’il y a ce vrai risque (d’autant plus vrai qu’il est encadré, c’est le paradoxe pédagogique, sujet qu’on pourrait beaucoup développer) qu’il se produit quelque chose de l’ordre de la vie, qui à mon sens se sent dans les images, et rend le film intéressant pour un spectateur.

Bien-sûr, après cette expérience de vie forte, et d’autant plus avec la qualité des images produites, les jeunes furent d’autant plus fiers, et l’expérience fut d’autant plus constructive pour eux.

Se risquer à tenir le cadre

Le cadre dans lequel on prend vraiment des risques est beaucoup plus productif en termes de création et de qualité de travail que le cadre avec lequel on essaie de se rasssurer. Au niveau personnel de l’intervenant, comment faire pour tenir ce type de cadre ? Eh bien c’est décider de faire confiance aux jeunes, par exemple au préado de 12 ans terrorisé à l’idée de piloter un drone, dans un parking au milieu des voitures et des gens, quand soi-même on a très peur. Donc qu’on se risque soi-même, réellement, à la situation, qu’on vit aussi des émotions fortes, mais qu’on donne sa pleine et entière confiance et la responsabilité à l’autre. Alors l’autre se hisse à ce niveau là, et se dépasse.

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Portfolio

Le drone se « démocratise », commence à entrer dans notre quotidien. Le monde vu d’en haut, le monde réel vu par cet oeil volant, désincarné, comme dans notre vision des mondes virtuels... notre représentation du monde change, du fait de ce nouveau « regard », qui se répand.

Mais quel est le point de vue de cet oeil désincarné ? Quel positionnement politique porte-t-il ? Quelles nouvelles esthétiques en découlent ? Quels rapports au corps, au territoire, à l’architecture s’y déploient ? Bref, que se passe-t-il pour notre vision du monde ?

Il me semble important d’explorer l’usage de ces machines dans leur dimension d’objets de production d’images. Des workshops pour des usages détournés, créatifs, distanciés, pour ne pas perdre l’esprit critique !