Sortir de la zone de confort

20 août 2018. Publié par Benoît Labourdette.
  7 min
 |  Télécharger en PDF

Dans le travail collectif, paradoxalement, c’est quand on ne se sent pas rassuré qu’on travaille le mieux. Mais comment cela fonctionne ?

Lorsqu’on se prépare à un travail qui implique le collectif (animer une réunion, une formation, une action culturelle, faire un cours, une conférence, jouer un spectacle, de la musique...) on essaie généralement de faire en sorte de ne pas être mis en difficulté dans notre travail : on apprend son texte par cœur, on prend des notes pour préparer le cours qu’on va faire, on écrit le texte de sa conférence, on prépare un ordre du jour pour la réunion dont on a la responsabilité, etc.

Différentes manières d’être déçu

Il vous est sûrement déjà arrivé d’être déçu par quelqu’un qui avait mal préparé la réunion qu’il animait, le concert qu’il donnait ou le cours qu’il faisait : on s’ennuie, on ne se sent pas respecté en tant que participant. On sent bien que la personne n’a pas assez travaillé pour ce qu’elle nous propose.

A l’inverse, on a aussi tous vécu des situations où des personnes avaient entièrement écrit le texte de leur conférence et nous endormaient à sa lecture, ou d’autres qui avaient tellement préparé l’ordre du jour de leur réunion qu’ils ne laissaient l’espace à personne de s’exprimer, la rendant tout à fait inutile, etc.

Les préparatifs sont à double tranchant

Les préparatifs, qui sont nécessaires évidemment pour « bien travailler », peuvent aussi être à double tranchant : ils peuvent nuire au développement plein et entier du travail collectif que l’on anime ou auquel on participe. Comment distinguer les bons préparatifs des mauvais ? Et comment, sur le moment, sentir qu’on est en train de « bien travailler » et non pas en train d’endormir son auditoire !

Tout d’abord, on ne prépare jamais assez le travail que l’on a à faire. Soyez en sûr : vous ne serez jamais assez prêt. L’angoisse ne vous quittera jamais. Ce que je dis là n’est pas agréable : personne n’a envie de se sentir mal pendant sa conférence ou son cours, et chacun aimerait être parfaitement prêt et rassuré par la certitude que cela se passera le mieux possible.
JPEG - 615.8 kio

Exemple : une conférence ratée

Appuyons nous sur un exemple : j’ai une conférence à donner. Je voudrais être tout à fait sûr de la réussir, alors je vais en écrire entièrement le texte. Ainsi, sur le moment je n’aurai qu’à lire le texte que j’aurai écrit et fait relire préalablement, dont la structure et le sens seront donc impeccables. J’arrive devant mon auditoire. J’ai peur, bien-sûr, mais j’ai mon texte. Au fond je suis pleinement rassuré : je n’ai qu’à lire et ma conférence sera parfaite.

A la fin de la conférence, quelques personnes me diront sans doute qu’elle était intéressante, car indéniablement mon texte était bien écrit. Mais je n’aurai pas remarqué, tout attaché que j’étais à lire mon texte, que la réalité c’est qu’une bonne moitié de mes auditeurs étaient en train de dormir et n’ont rien retenu du tout de mon intervention. Vous pouvez me le dire : j’ai mal travaillé.

Une conférence, c’est adresser quelque chose aux gens qui sont en face de nous. Ce n’est pas ce que j’ai fait. Mon usage de l’oralité n’a rien apporté au texte que j’avais écrit. J’aurais mieux fait de donner mon article à lire aux spectateurs et d’animer ensuite un débat avec eux après leur lecture, cela aurait été bien plus riche pour tout le monde.

J’ai donc donné une très mauvaise conférence, et pourtant j’avais fait mon maximum pour la préparer, pour m’assurer de sa réussite.

La zone de confort

Que s’est-il passé ? Je suis resté dans ma zone de confort. J’ai fait mes préparatifs dans le but d’être rassuré pendant mon intervention. J’ai mis ma crainte d’échouer au centre de la dynamique de mes préparatifs, et c’est précisément ce qui a fait échouer mon travail. De plus, je n’en ai peut-être même pas conscience, rassuré que je suis par les quelques personnes qui me disent avoir apprécié ma conférence. Je risque, en toute bonne foi, de donner ma prochaine conférence de la même manière.

J’ai cru avoir vraiment fait de mon mieux, mais je suis passé à côté de l’essentiel : le travail qu’on me demandait de faire étant un travail collectif, adressé à un public, c’est ce collectif, c’est à dire moi en relation avec ce public, qui devait être au centre de mes préoccupations, et non pas mon angoisse personnelle.

« Très bien, très bien, nous sommes d’accord avec votre analyse, mais comment vous proposez-nous concrètement de faire alors ? », me direz-vous. Je vais simplement faire appel à vos souvenirs, où vous allez trouver les réponses à cette question.

La différence entre vos bons et vos mauvais profs : souvenez-vous

JPEG - 585.1 kio
La valeur immense du collectif humain, c’est sa singularité : chaque moment, chaque groupe est unique et exceptionnel. Rappelez-vous les meilleurs cours auxquels vous avez assisté, qui vous ont nourri pour toute votre vie : ce sont ces moments magiques d’invention collective, où vous aviez toute la place de construire votre pensée, en relation avec votre mentor, l’enseignant génial qui vous a tant apporté. Les cours soporifiques lus par un enseignant qui s’ennuyait, vous ne vous en rappelez pas. A quoi ont-ils servi ? A rien, je vous le confirme.

Quelle est la différence entre ces deux enseignants ? L’enseignant génial savait ce qu’il voulait vous apporter, il savait pourquoi il était là : pour vous apporter un savoir nouveau. Il avait travaillé à préparer son cours, à connaître son sujet. Il avait préparé aussi le déroulé de la séance, mais de façon souple. Il ne savait pas exactement comment le cours allait se dérouler, car il choisissait de laisser la place à ses interlocuteurs, les élèves à qui ce cours s’adressait. Sûrement qu’au moment de commencer son cours, et sans doute même pendant tout le cours, il n’était pas sûr de lui, les choses allaient dans des sens imprévus, lui échappaient, et il travaillait, dans le dialogue avec les élèves, à leur répondre en essayant de traiter au mieux le sujet pour eux, en devant passer par des chemins imprévus, qu’il n’avait pas anticipés. Il n’était pas rassuré, il n’était pas dans sa zone de confort. Mais, me direz-vous en vous remémorant ce cours, il était très à son aise au contraire. Oui, c’est l’impression que vous aviez eue, car il savait aussi que son rôle était de vous rassurer, de vous apporter le cadre nécessaire pour que vous soyez en confiance et donc en pleine capacité de recevoir le cours. Lui était inquiet à l’intérieur mais il ne vous le faisait pas peser, il était là pour vous. Une grande partie de son travail consistait en cela. Et après le cours, cet enseignant s’est posé mille questions sur la manière dont ça s’était déroulé, sur la méthode qu’il pourrait avoir pour faire encore mieux, etc.

L’autre enseignant, celui qui lisait son cours, dont il ne vous est resté aucun souvenir, était tout à fait rassuré. Il était pleinement dans sa zone de confort : serein en arrivant, car sachant que tout allait se passer comme prévu, et serein en partant, car il avait « traité » son sujet, parfaitement, vu la qualité du cours qu’il avait patiemment écrit. Mais il ne vous en est rien resté.

L’aventure de la pensée

Une précision de plus sur l’enseignant génial : même dans les moments où il parlait seul, où il n’était pas dans l’interaction directe avec ses élèves, il employait la même méthode. C’est à dire qu’il avait préparé son cours bien sûr, mais, sur le moment peut-être que lui-même, dans la situation de transmission, découvrait de nouvelles choses sur son sujet, qu’il n’avait pas anticipées. Il était, même dans sa parole « magistrale », lui même en quête, à la découverte de son sujet, plein de surprises, d’apprentissages nouveaux et d’inventions pour lui. Ainsi il passionne ses auditeurs car lui-même est sincèrement passionné, ne sachant pas où il va arriver, tenant bon an mal an la barre dans cette aventure de la pensée.

Cela est aussi particulièrement vrai pour un comédien : il dit toujours le même texte, mais réussit à trouver en lui la surprise, l’étonnement, à découvrir pendant qu’il est en train de dire son texte, des sens et des émotions nouvelles, à chaque fois. Il se laisse surprendre, il apprend, il est déstabilisé, il doit s’adapter. Et pourtant les mots sont toujours les mêmes. Et ce encore plus s’il a des partenaires qui sont dans la même attitude, bien-sûr.

La nature du travail

JPEG - 513.3 kio

Les exemples précédents sont je crois suffisamment simples et parlants en eux-mêmes. Je vous laisse en formaliser la méthodologie, qui sera singulière à chaque domaine d’activité et à chaque personne. Je ne donne pas de « solutions » mais des techniques pédagogiques, qu’il vous appartient de vous approprier.

Je peux cependant ajouter quelques concepts sur :

  • la nature du travail de préparation,
  • la nature du travail en collectif.

Le travail de préparation doit plutôt être consacré à une bonne connaissance du sujet que vous avez à traiter plutôt qu’à la fabrication d’un texte ou d’un objet destiné à vous rassurer. Préférez lire plus de livres et d’articles sur votre sujet, expérimenter des choses par vous même, vous poser des questions sans réponses, plutôt que de passer votre temps de préparation à fabriquer un Powerpoint « parfait » mais superficiel. Bien-sûr, préparez votre programme de cours ou de conférence, mais préparez vous surtout à être surpris pendant le cours et à pouvoir répondre aux imprévus qui pourraient survenir. Ce qui se passera sera toujours différent de tout ce que vous auriez pu imaginer, mais le fait d’avoir imaginé plusieurs situations imprévues vous aura donné l’agilité intellectuelle nécessaire pour pouvoir vous adapter à de nouvelles surprises.

Le travail en collectif est une aventure. Ne croyez pas qu’un jour vous pourrez trouver le moyen d’être rassuré quant à ce qui va se passer. Soyez prêt à un moment de vie, d’invention, d’intelligence collective, de remise en question personnelle. Sachez que la valeur de ce qui va se passer tiendra autant à votre bonne connaissance du sujet qu’à votre ouverture à l’imprévu, à cette exceptionnelle créativité de groupe que vous serez ainsi capable de mobiliser. Sachez que ce moment sera un moment unique dans votre vie et dans celle de vos interlocuteurs. Donnez sa pleine et entière valeur à cet échange : soyez prêt à tout. Imaginez que c’est un rendez-vous galant : vous ne savez pas ce qui va se passer, mais vous savez que c’est la qualité de la rencontre, de votre écoute, qui pourra faire que ce rendez-vous là changera peut-être votre vie et celle de vos interlocuteurs. Si vous faites des cours chaque jour et que vous envisagez les choses de cette manière, eh bien vous allez simplement vivre une vie très intense, plus intense que la moyenne, mais d’autant plus passionnante !

Si cela peut vous rassurer : c’est votre métier de changer la vie des gens !

JPEG - 511.4 kio

Portfolio

Vous trouverez ici des outils pédagogiques, pratiques et conceptuels. Ces outils s’appuient sur les expériences et la pensée que je développe dans un grand nombre de contextes depuis les années 1990. J’ai développé une pratique pédagogique singulière, opérante, inspirée des méthodes de Célestin Freinet entre autres, adaptée aux enjeux humains contemporains et aux outils du XXIe Siècle.

La pédagogie est une pratique expérimentale, qui a ses théories, son histoire et ses penseurs. C’est un outil de construction central dans le champ éducatif mais aussi au delà, dans le cadre des interactions professionnelles ou de la médiation culturelle par exemple. Ainsi l’utilité des méthodes et réflexions que vous trouverez ici dépasse le contexte de l’enseignement.